Communication d'incendie : le théâtre du crime
Les émotions ont ceci de particulier qu'elles vous
dévoilent la réalité avec une rare
acuité, celle qui vous fait goûter aux saveurs les
plus fines, les plus suaves et les plus rares, celle qui va vous
permettre de saisir l'infini contenu dans l'instant fugitif. Mais les
émotions se vivent, elles ne se collectionnent pas, elles ne
se rangent pas sagement dans un coin de votre mémoire, elles
se déchaînent, s'enchaînent et vous
entraînent dans une réalité qui
n'appartient qu'à vous, loin des chronologies
fidèles, des procès-verbaux
détaillés ou des récits serviles.
Les émotions m'ont prises, plus riches et plus troublantes
que jamais. Les émotions m'ont emportées, plus
loin et plus profondément que jamais. Elles m'ont
laissé des souvenirs chatoyants, brûlants et
étourdissants mais confus. Vérité et
réalité sont devenus des traîtres mots,
seule la fièvre et l'ivresse se sont incrustées
sous ma peau.
Cacher sous ma plus belle écharpe de soie un
décolleté vertigineux, gainer mes jambes de bas
et les jucher sur des escarpins altiers et ne s'embarrasser de rien
d'autre que de cela ; si ce n'est de ma folle impatience et de
l'avidité que j'ai de lui ; si ce n'est de mon corps qui
crie, qui s'échappe à mon contrôle pour
réclamer d'être sous le sien.
Courir faisant fi de ces talons inaccoutumés, trousseau de
gêolière dans une main et le coeur à
l'envers dans l'autre, la télécommande
à bout de bras pour lui ouvrir mon âme
débordante. Et à l'heure de foncer rejoindre la
quiétude d'un appartement vide, sentir son bras interrompre
brutalement mon mouvement pour me ramener puissamment à lui
et enfin goûter l'étreinte comme on s'abreuve
à la bouche de l'autre : avec insatiabilité et
intempérance.
Peut-être a-t-on dîné, je ne m'en
souviens pas. De faim, je n'en avais qu'une seule et c'était
de lui. Elle était grande comme un trou noir dans lequel j'ai
sombré.
Offerte je l'étais, plus que jamais, plus que tout. Ouverte,
séduite, conquise. Je n'avais d'autre dessein que
d'être à lui, d'autre désir que de lui
appartenir, le reste s'est envolé dans le tourbillon de nos
émotions partagées.
Je me rappelle pourtant m'offrir aussi à l'odeur du savon,
à la tiédeur du coton humide qu'on frictionne sur
la peau, à l'irréversibilité du
rasoir, à la caresse de la lame, à la rigueur des
ciseaux. J'ai oublié mes réticences, mes
hésitations, j'ai piétiné ma
réserve pour écarquiller mes jambes, tendre mon
bassin et cambrer mes reins. La seule chose qui m'importait
était d'être celle qu'il voulait que je sois et le
vertige était d'autant plus grand qu'il venait vaincre mon
embarras, preuve que j'étais sienne bien plus
intensément puisqu'il me fallait ployer ma
volonté pour m'emparer de la sienne.
Les yeux clos, éperdue, déconcertée
par le bruissement du papier de soie. Un imperceptible tintement de
métal m'évoque à raison le
frémissement de la boucle d'un collier entre ses doigts
habiles. La douceur du cuir poli sur ma peau, son inexorable force
lorsque l'objet enserre mon cou, me font presque défaillir.
Je suis dorénavant à lui et si d'ores et
déjà je le savais, c'est aujourd'hui que j'en
reçois le plus absolu des symboles. Aveugle, je fais courir
ma main sur le torque et découvre qu'outre la douceur du
cuir s'allie la vigueur du bronze. Menée devant la glace
quand mes yeux ont croisé l'objet j'ai cru que j'allais
pleurer tant sa beauté m'a saisie. Jamais je n'aurais
rêvé de ma vie porter de si beau bijou,
de si puissant mais aussi de si somptueux. Et quand on sait qu'il est
façonné des mains même de celui
à qui il me lie, cela instruit sur la profondeur du trouble
et l'intensité des émois que cela me procure.
Des cordes qui me ceignent et que soudainement je crains. Des cordes
où mes poignets se suspendent pour mieux me
dérober au châtiment dont je rêvais
pourtant. Peur sourde mais invincible et avant même d'y avoir
seulement goûté. Pinces si
désirées, si redoutées, vous ne mordrez pas mes seins maintenant. Je vous regrette d'autant plus
amèrement, je vous espère d'autant plus
ardemment, je vous attends d'autant plus intensément. Et
aujourd'hui tant marrie de vous avoir fuies, je me prends à
rêver qu'un jour, sans aucun lien, si ce n'est le soin de sa
voix, je saurais tendre à sa main le sein que vous
viendrez tourmenter.
La menthe qui m'irradie du plus profond de moi.
L'attente que j'ai de lui est si alors grande que sa brûlure
sonne comme une béance.
Je suis un vide qui flambe.
Je suis une cavité qui se consume de ne pas être
emplie de lui.
Je suis un gouffre qui s'embrase de son absence.
Des liens qui me captivent, me maîtrisent et m'apprivoisent.
Je ne me souviens alors plus de rien — si ce n'est que la
peur avait fui désormais pour l'envie — si ce n'est la joie de m'y
lover, enfin de m'y abandonner et d'accepter avec ivresse ce que j'ai
infiniment envie d'être : sa soumise.
Des corps qui se dévorent l'un l'autre.
Des corps qui se partagent, se troquent et se vouent.
Des corps qui se cherchent et se chevillent l'un à l'autre.
Il se dit que Morphée lui-même n'est pas parvenu
à les délier tellement ils s'étaient
enchâssés.
C'est ce que Gabrielle a écrit le
dimanche 28 mai 2006 à 02:07
au chapitre procès-verbaux & réalités, page #20
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