Où Gabrielle ne se
raconte plus d'histoires
Baptême
Elle l'avait, sur elle, fait ruisseler brûlante.
L'eau avait noyé sa honte ; le crin avait
étrillé sa peau et biffé sa pudeur ;
la lame acérée avait parachevé de la
démasquer.
Lisse et plus nue que jamais, elle était devenue les mots
qu'elle égrenait en secret, qu'elle couchait sous
pseudonyme, qu'elle vivait sous alibi.
Aux marches du Palais
La porte était entrouverte, pourtant elle frappa.
Elle frappait toujours. Elle marquait ainsi la frontière :
Devant la porte, c'était elle.
Outrepassée celle-ci, elle était Gabrielle.
Elle frappait toujours. Elle marquait ainsi son rang, le revendiquait.
Car il n'est pas de plus altière manière que
d'embrasser le joug de son Sultan, le front haut et le corps
déjà pantelant, priant qu'on le châtie,
qu'on le rompe et que ce faisant on le donne en pâture
à ses plus obscurs vertiges.
Le siège du Gouvernement
Flambeaux et chandelles projetaient peur et lueurs sur les draperies,
les sofas, les tapis. Encens évidemment. Il
n'était désormais plus d'autres
repères que les siens. Il était le
maître des lieux, le maître du monde — et
surtout le sien.
Mais pour l'heure le Sultan la voulait punir, la voulait non pas
servile mais fautive. Peu en importait la raison, par la seule
volonté monarchique Gabrielle se savait coupable et en
accepta le décret avec pour seule protestation un faible et
apeuré gémissement. Alors dans l'abyssal silence
de la situation dont chacun mesurait l'inexorable, perverse
requérante de l'arbitraire sanction, elle baissa
elle-même ses effets.
Reins creusés et croupe tendue, les secondes se
décomptent au métronome...
Quand le Sultan entre en voie de
condamnation
Reins creusés, croupe tendue, les secondes se
décomptent au métronome...
Reins creusés, croupe tendue, les secondes devenaient
chamade, le temps s'était fait brimade.
Tintements de boucle metallique.
Glissements furtifs.
Chacune des extrémités de la ceinture qui le
ceignait fût bientôt étroitement
empaumées.
Gabrielle attendait. Terrifiée par l'inédite
discipline, perversement curieuse d'en goûter le cuir autant
que la nouveauté, l'imagination déjà
tourbillonnante de scènes dont elle n'osait pas
même se faire la protagoniste. Elle ne l'avouera pas ;
même son souffle ne trahira rien d'autre que son
incontestable effroi mais les rives de la douleur ne furent plus
exquises que délibérément offerte
à la sombre sangle, fesses tendues, dos bandé
pour mieux la sentir s'imprimer, pour mieux l'entendre claquer et plus
encore d'obéir à son ordre de ne point bouger, de
ne point protester.
Et s'il n'est qu'un plaisir à garder c'est celui de la
caresse de la paume qui remontait en haut de l'épaule le
soie du vêtement avant de s'abattre sur elle,
sanglée d'une longue et sévère boucle
de cuir noir.
Divin vertige... Arquer le dos pour mieux jouir d'elle et de la main
qui la tient. Des images obscures tirées de ses plus
anciennes et infâmes rêveries, des contes cruels
dont elle savait embellir ses songes d'enfants, elle tirait une ivresse
insoupçonnée.
Gabrielle faisait fi de sa crânerie. Gabrielle ravalait sa
morgue. Gabrielle s'avouait à elle même combien
son plaisir était grand.
Gabrielle fait fi de sa crânerie. Gabrielle ravale sa morgue.
Gabrielle sait qu'elle doit maintenant avouer à son Sultan
combien lui complaît sa ceinture glissant le long de ses
passants avant de la faire danser dans une ondoyante et lente
correction.
Où l'organe du pouvoir se
fait clément
C'est ici aussi qu'elle doit lui confesser qu'ainsi domptée,
bientôt emplie de lui, bientôt broyée
par l'étau de ses doigts auxquels, sur son ordre, elle offre
son buste, la plus soudaine, la plus exquise et la plus puissante des
voluptés la balayera de ce monde... pour y revenir plus
soumise et débauchée que jamais...